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Crowdfunding : éviter les pièges

30/05/2013 à 5h36
Yywyn

Le crowdfunding, ou financement participatif, a le vent en poupe. On en entend de plus en plus parler. C'est vrai que l'idée est sympa, a du potentiel, mais si on se penche un peu sur les différents acteurs dans ce domaine, on trouve à boire et à manger.

Le projet
Nous voulons nous doter d'une imprimante 3D afin d'imprimer à destination des aveugles, la cartographie du jeu sur un support en plastique, plus résistant à l'usure que du papier embossé. L'idée du crowdfunding est intéressante, elle pourrait nous permettre de toucher un plus large public et de mener à bien cette initiative solidaire.


Octopousse, le breton qui perd son âme
"L'équipe se compose de deux jeunes bretons souhaitant relancer la créativité et aider les porteurs de projets à réaliser leurs rêves dans un esprit solidaire, éthique et généreux" peut-on lire sur le site d'Octopousse. Comme l'idée de l'imprimante 3D a germé en Bretagne, on a naturellement pensé à Octopousse, start-up bretonne, pour héberger notre projet. Avec ses 66% de projets réussis, fièrement affichés en haut des pages du site, c'était réconfortant. Un site clair, une navigation aisée et très probablement accessible aux aveugles, c'est un excellent début. Une commission fixe de 7% permet exactement de savoir où l'on va, combien il faudra demander pour être dans le budget.

Hélas, il y a 2 jours, la petite société Octopousse a été phagocytée par Ulule, leader européen du crowdfunding. Sûrement une histoire de gros sous, mais on s'est bien gardé de prévenir les utilisateurs de ce qui se tramait en sous-main. Pas super, pour un site original qui mise à fond sur son origine bretonne et conviviale dans la presse locale. Ouais, le "made in BZH", c'est vendeur, mais question éthique, vous repasserez, hein !
Sur le site d'Octopousse, on peut lire "Né en 2011". Il faudra rajouter "Mort en 2013". Pourtant, je dis ça, mais il fallait s'y attendre :
WIKIPEDIA a dit :
« La pieuvre commune ou poulpe commun (Octopus vulgaris) est une espèce de pieuvre de la famille des octopodidés vivant dans les eaux côtières des mers tropicales et sub-tropicales. Sa durée de vie est en moyenne de 2 ans, car elle meurt après s'être reproduite. »

Exit, Octopousse !


Ulule, un bazar pas croyable !
Alors comme on m'y a gentiment poussé, j'ai été voir Ulule. Un site malcommode, des couleurs assez désagréables, des images inaccessibles pour les aveugles (l'œuf qui sert de jauge n'est pas traduit en texte par exemple), un tri qui laisse grandement à désirer, c'est vraiment pas une plate-forme aussi agréable qu'Octopousse. La première impression, outre celle du gros qui veut "bouffer" les petits comme Octopousse, est plutôt négative. Alors pour voir si Ulule vaut vraiment le coup, je me suis plongé dans les CGU, et là, c'est le drame. Pas moins de 3 barèmes différents selon la provenance des dons. Vous y comprenez quelque chose, vous ?

ULULE a dit :
« Paypal prélève sa propre commission sur les paiements exécutés, qui est à la date de rédaction des présentes de 3,4% +0,25 cents d'euros par transaction. Cette commission appliquée par Paypal est perçue directement par Paypal.
Par ailleurs, la Société applique sa propre commission en rémunération du service d'intermédiation, telle prévue à l'article 6.4.

[...article 6.4 qui n'existe pas...]
Pour les Porteurs de Projets bénéficiaires des Contributions, les frais des Services fournis par la Société sont calculés en pourcentage du montant des Contributions collectées par l'intermédiation du Site.
Le pourcentage applicable varie en fonction du mode de paiement et est de :
- 6,69 % HT en cas de paiement par carte bancaire ou par Débit Direct ;
- 4,18% HT en cas de paiement par chèque ou Paypal.
La TVA est applicable au taux en vigueur au jour où le transfert des fonds collectés est effectué. »

Un vrai charabia, surtout que dans la FAQ on donne d'autres chiffres, le site mélangeant allègrement le hors taxes et le TTC. En gros, ça tourne autour de 8%, donc c'est plus cher pour les porteurs de projets. Mais 8 pile ? Plus de 8 ? Moins de 8 ? Là, il faut bien faire attention : Paypal n'est pas rentable surtout pour les petits dons, car en plus des 8,4% prélevés sur la somme, il y a des frais fixes de 25 centimes qui s'ajoutent. Les dons directs reçus par chèque ou virement sans passer par l'intermédiaire d'Ulule doivent leur être déclarés et sont soumis à une commission de 5%, juste pour faire monter la jauge. C'est trop compliqué pour pouvoir établir un budget prévisionnel et anticiper précisément les commissions à payer.

J'ai écrit à Octopousse qui m'avait octopoussé chez Ulule pour faire part de mon mécontentement et demander des précisions claires sur le charabia des commissions perçues. Après tout, si l'ancienne co-fondatrice d'Octopousse bosse maintenant chez Ulule au poste de "Directrice Régions et Territoires", elle doit bien savoir ! Le message a été lu mais je n'ai pas eu de réponse. Qui sait si j'en aurai ou non... Les gens reçoivent souvent mal la critique sans voir un seul instant qu'elle peut être constructive.
Alors devant ce bazar, j'ai cherché ailleurs.


Babeldoor, des clauses carrément abusives !
J'ai trouvé Babeldoor, un petit site simple, sobre, avec beaucoup de texte et peu d'images donc carrément accessible aux aveugles. Je sais, je ne suis pas aveugle, mais j'essaie de me mettre à leur place. Bon, Babeldoor, ça semble vraiment être un site qui ne veut pas péter plus haut que son derrière et ça me plaît. Sur Facebook, Babeldoor a 3223 fans contre 3626 pour Octopousse, c'est kif kif pareil. J'ai regardé les commissions : 5% seulement ! C'est particulièrement attractif. Alors j'ai créé un compte puis j'ai mieux lu les conditions d'utilisation et là... c'est le drame. Gare au piège ! Vous allez voir, plus c'est gros, plus ça passe.

Prenons un exemple simple, un chanteur veut collecter des fonds pour auto-produire son premier album. Il s'inscrit sur Babeldoor sans faire attention, lance son projet et met une chanson sur sa page à titre de démo. Trop tard ! Voici ce qu'il a raté dans les CGU de Babeldoor :

BABELDOOR a dit :
« Lorsque l'utilisateur publie un contenu de quelque sorte que ce soit (image, vidéo, son, texte, commentaire, animation, document...) sur le site, il reconnait et accepte : [...]
Qu'il cède à Babeldoor une licence mondiale, non-exclusive, perpétuelle, gratuite, irrévocable et non-transférable pour utiliser, éditer, modifier, reproduire, distribuer ou exploiter ces contenus pour toute activité connexe au Site, à son Service et à la Société sans limitation, et sous toute forme et par tout média (incluant, sans limitation, des sites tiers).
Qu'il accorde également aux utilisateurs du Site ou du Service une licence non-exclusive leur permettant d'accéder à ses contenus, et de les utiliser, les éditer, modifier, reproduire, distribuer, à des fins non-commerciales destinées à la promotion de ses projets. [...]
Que les droits concédés ci-dessus ne cessent pas lorsqu'il se désinscrit du site. »

En somme, si notre chanteur est le nouveau Grégoire, Babeldoor qui aura flairé le bon filon pourra presser sur CD la chanson de démo mise par l'artiste sur son site, et pourquoi pas la mettre en vente pour son propre compte sur iTunes. C'est permis puisque c'est pour promouvoir l'efficacité de sa plate-forme. Même après que le chanteur ait fermé son compte sur Babeldoor. La licence est perpétuelle et irrévocable. Même s'il se désinscrit du site. C'est comme ça. De plus, les utilisateurs de Babeldoor auront le droit de diffuser la dite chanson gratuitement à qui veut. C'est pas du piratage, c'est de la promo. Alors si le malheureux innocent a mis plusieurs chansons en démo, autant oublier l'idée de vendre son CD. Merci Babeldoor !

Je note avec amusement l'avant-dernier article des CGU de Babeldoor au sujet de la propriété intellectuelle où, quand il s'agit d'eux, alors là on ne parle plus du tout le même langage :
BABELDOOR a dit :
« Aucun élément composant le site ne peut être copié, reproduit, modifié, réédité, chargé, dénaturé, transmis ou distribué de quelque manière que ce soit, sous quelque support que ce soit, de façon partielle ou intégrale, sans l'autorisation écrite et préalable de Babeldoor à l'exception d'une stricte utilisation pour les besoins de la presse et sous réserve du respect des droits de propriété intellectuelle et de tout autre droit de propriété dont il est fait mention.
Toute représentation totale ou partielle du site par quelque procédé que ce soit, sans l'autorisation expresse de Babeldoor est interdite et constituerait une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle. »

Mince alors ! J'ai recopié des extraits des CGU...

Les CGU de Babeldoor ont été avalisées par une avocate parisienne. J'aimerais avoir son avis sur cette clause qui, au regard du droit Français, me semble léonine. C'est décidé, je vais contacter la gérante de Babeldoor, parce que non mais là c'est abusé ! Je veux avoir son avis à elle aussi. Je ne sais pas si j'aurai une réponse, ou si on m'ignorera simplement. En regardant mieux chez Ulule, on trouve des clauses similaires, mais en mieux, puisqu'elles n'ont pour but QUE l'intérêt du projet et que l'utilisateur peut y mettre un terme quand il le souhaite :

ULULE a dit :
« Le Porteur de Projets concède à la Société à titre exclusif et gracieux, pour le monde entier et pour toute la durée des présentes, les droits tels que précisés ci-dessous, afin de permettre à la Société de fournir le Service sous forme de diffusion sur Internet, sur les réseaux de téléphonie mobile et/ou sur tout autre réseau actuel de communication ouvert au public.[...]
Cette licence comprend notamment le droit pour la Société de reproduire, représenter, adapter, traduire, numériser, utiliser ou sous-licencier les contenus concernant l'Utilisateur (informations, images, vidéos, description, critères de recherche, etc.) sur tous supports de communication électronique dans le cadre de la fourniture de ses Services. Ces droits sont concédés pour le monde entier et pour la toute la durée d'exécution des présentes Conditions générales entre l'Utilisateur et la Société. [...]
Les Présentes Conditions Générales de Vente et d'Utilisation s'appliquent pendant toute la durée d'utilisation du Site et jusqu'à la clôture du compte pour quelque raison que ce soit. »


C'est rassurant de savoir que quelqu'un ne se réserve pas le droit de détourner ce qu'on lui fournit dans un but précis. L'éditeur de Dragonium est titulaire des droits exclusifs relatifs aux images créées par les dessinateurs, qui ont tous signé un contrat pour officialiser cela. Je n'ai pas envie que, si Dragonium devient un énorme buzz, Babeldoor se permette de fabriquer et vendre des objets portant la bannière dessinée par Red Coin pour se faire des sous dans notre dos, juste parce que j'aurai commis l'erreur de vouloir illustrer une page de présentation du projet.


Moralité
On entend régulièrement une voix dénoncer un site ou un blog qui, dans ses conditions, devient propriétaire des éléments que vous envoyez dessus. Eh oui. Personne ne lit les CGU attentivement. C'est regrettable. Regrettable que des plates-formes veuillent disposer de ce qui n'est pas à elles. Medice, cura te ipsum ! Cette nuit, j'ai assoupli les conditions d'utilisation de Dragonium car je me suis aperçu qu'elles pouvaient, elles aussi, sous-entendre de mauvaises intentions au niveau des créations artistiques (noms de guildes, avatars). Si on est obligé d'avoir une licence pour nous permettre légalement d'afficher sur le jeu et les supports promotionnels divers (comme une photo ou une copie d'écran dans un journal) les créations des utilisateurs, celle-ci peut maintenant être rompue sur simple demande écrite.

Si vous connaissez d'autres sites de crowdfunding adaptés à notre projet, n'hésitez pas à les proposer. J'irai examiner ça attentivement et je vous tiendrai au courant. Déjà, j'attends les deux réponses aux messages que j'ai envoyés à Octopousse et Babeldoor.

On pourrait croire que je râle après tout le monde, mais en fait non. Je cherche juste à trouver une plate-forme qui soit vraiment honnête, agréable et avec une éthique. L'équivalent de Dragonium, tout simplement.

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Mise à jour du 30 mai, 22h.

Des réponses
J'ai eu des réponses, dont celle de Babeldoor moins de 2 heures après mon mail. La responsable de Babeldoor me confirme que les CGU, écrites il y a plusieurs années, peuvent contenir certaines clauses rédigées « de façon inappropriée ou maladroite », « à une époque ou aucun autre site de crowdfunding de projet n'existait ». Rassurante également, la fin du message : « Nous ne voyons pas de problème à réouvrir le dossier cgu et faire modifier nos clauses avec le nouvel avocat de la propriété intellectuelle qui nous conseille depuis 2012 ».

Si je puis émettre quelques suggestions, je conseillerais à Babeldoor :
- prioritairement, d'encadrer les conditions de la cession de droits : "...dans le cadre strict de l'exécution du service, soit la promotion du projet par Babeldoor" pour éviter tout emploi extérieur au détriment du porteur de projet (les fameuses "activités connexes au site") ;
- de s'octroyer un droit de licence révocable par l'utilisateur, à la fermeture du compte de celui-ci ou sur demande écrite, par exemple ;
- de ne surtout pas donner à n'importe quel visiteur du site (même non inscrit, car le terme "Utilisateur" désigne aussi les simples visiteurs dans les CGU) le droit d'utiliser, éditer, distribuer les éléments soumis sur Babeldoor par quelqu'un... mais plutôt d'encourager la diffusion du lien vers la page du projet sur les réseaux sociaux avec le lien "Partager" qui existe déjà, peut-être en le mettant plus en valeur ;
- de s'interdire d'utiliser les éléments fournis pour promouvoir la plate-forme Babeldoor sans autorisation explicite de l'utilisateur (une case à cocher dans le profil : "J'autorise Babeldoor à utiliser les éléments fournis par mes soins dans le but de faire la promotion du site sur tout support de communication").

Vers 19h30, nouvel e-mail de Babeldoor : les CGU « devraient être corrigées dans le week-end ou lundi prochain au plus tard ».

Octopousse m'a également répondu dans l'après-midi. Leur âme n'aurait pas été vendue et Ulule était leur modèle depuis le départ. Les commissions sont bien de 8% sur Ulule et « Paypal n'est utilisé qu'avec les gros projets qui le demandent ». Enfin, si Octopousse n'avait pas été racheté par Ulule, ils auraient également utilisé la même plate-forme financière qu'Ulule et auraient du augmenter leur commission à 8% également.


Kisskissbankbank : pas de prise de tête
Avec ses 8% de commission, Kisskissbankbank (abrégé KKBB) s'aligne sur Ulule, à ceci près que la commission est fixe quel que soit le moyen de paiement. Dans les conditions d'utilisation de KKBB, aucune cession de licence. On suppose donc que c'est le bon sens qui s'applique : que le contenu soumis par l'utilisateur pour lancer son projet est utilisable par KKBB dans l'unique but de la promotion du dit projet et que KKBB ne revendique aucun droit sur les éléments envoyés. Comme il n'y a pas de licence accordée, il n'y a pas non plus de durée ou de clause de rupture. Le bon sens voudrait que KKBB ne dispose que de l'autorisation de publier les contenus que pendant la durée d'accessibilité de la page, même une fois la collecte terminée. Dans les faits, le site a la mémoire longue : les collectes (réalisées ou échouées) restent accessibles et le contenu des pages l'est également. Mais comme il n'y a pas de termes concernant une licence quelconque, on n'a rien à craindre concernant un possible détournement du contenu.

Le site est très clair, très agréable à visiter et accessible aux aveugles. La FAQ est exemplaire en terme de précision et d'exhaustivité. Par contre, il y a cette histoire de mentors, des sociétés qui peuvent accoler leur image à un projet. Pas de règle de ce côté là : on peut imaginer qu'un projet soutenu par un mentor a plus de chances d'aboutir. Et le choix des soutiens n'appartient qu'aux mentors. Voici un extrait de la FAQ de KKBB :

KISSKISSBANKBANK a dit :
« Les Mentors sont des institutions, médias ou marques qui proposent des projets provenant de leurs propres communautés. (Lecteurs, adhérents, employés, membres). Ils peuvent également soutenir financièrement des projets sur KissKissBankBank ou leur donner de la visibilité. »

Autrement dit, ils promeuvent d'abord les projets de leur communauté. Et si on n'a pas ses entrées chez l'un d'eux, les chances d'être soutenu sont nettement plus réduites. L'intérêt du mentor est simplement l'appui qu'il peut offrir en terme de communication et de propagation du projet. Je pense qu'un média comme Radio Campus ou Le Monde a plus de chances de faire connaître et donc faire financer des projets, que La Banque Postale.


Conclusion (provisoire ?)
Actuellement, je classe les 3 sites de crowdfunding ainsi :
1er : KissKissBankBank. Clarté générale du site, conditions d'utilisation non abusives.
2ème : Ulule. Malgré des commissions pas claires, des CGU giga-longues écrites en gris clair sur blanc (merci pour mes yeux), les conditions sont acceptables.
3ème : Babeldoor. Un outsider moins cher, qui arrive en fin de classement à cause de ses CGU mais qui, si elles sont modifiées ce week-end comme prévu, pourrait bien grimper devant les autres et attirer notre projet.

L'avantage des deux premiers réside en leur énorme portée sur la toile. Plus on a de poids, plus on attire de monde. C'est un cercle vertueux. Babeldoor pourrait peut-être annoncer des chiffres rassurants sur le pourcentage de collectes réussies et axer un peu plus sa com' vers ses utilisateurs comme le faisait Octopousse, profitant d'une image originale et de son poulpe, mis un peu à toutes les sauces.
A l'heure actuelle, l'arrêt d'Octopousse a eu pour conséquence un décalage de quelques jours du lancement de notre projet d'achat d'imprimante 3D. Le choix du prestataire n'est pas encore arrêté mais on vous tiendra au courant, évidemment !

Si vous connaissez d'autres sites de crowdfunding, n'hésitez pas à les proposer.

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